© Stéphane Dugast
© illustration ar.créa'h
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Les visiteurs de l'atoll

Invitée du Pacifique depuis le franchissement du canal de Panama, la frégate de la Marine nationale Latouche-Tréville a effectué une "escale" mythique avant de rejoindre Acapulco et le Mexique. Récit de la mission "Passion" effectuée en 2001.

Le ciel est devenu nuageux. Le soleil reste caché derrière les nuages. A bord du Lynx, la vision de l'île de Clipperton est magique. Un bandeau de terre très étroit jaune et gris, en forme d'ellipse, parsemé de cocotiers verts et ceinturé par un lagon aux teintes turquoises. Vu du ciel, c'est du technicolor ! Au sol, la magie s'évanouit et cet atoll devient une terre de légendes et de paradoxes. Le paysage est lunaire. Le sol d'aspect volcanique est très rugueux et surtout occupé par des milliers d'oiseaux qui n'ont pas l'habitude d'être dérangés. Ces oiseaux des îles ne bronchent pas. Les marins peinent à les faire évacuer de la zone de posée de l'hélicoptère. Difficile de les chasser. Alors que certains agitent frénétiquement les mains et les pieds pour les effrayer, d'autres préfèrent enlever leur veste et s'en servir comme d'une défense pour éloigner sternes et frégates. Étrange ballet...

Débarquement raté !
Dix heures. Le zodiac, arrivé en pièces détachées par hélitreuillage, est rapidement monté, gonflé et mis à l'eau à l'intérieur du lagon. Direction le sud-est de l'île et le mythique rocher de Clipperton où s'affaire l'équipe de scientifiques accompagnée de trois marins. " Malgré (son) quintal ", comme il aime à plaisanter, Jean-Louis Laurent, chercheur pour l' Institut de recherche et de développement (IRD) à Nouméa, s'est hissé assez facilement en haut du rocher. Il est déjà à pied d'œuvre pour faire fonctionner la borne géodésique qui permettra d'envoyer des mesures au satellite.

Quatorze heures. Le soleil réapparaît et commence à cogner. L'île reprend des couleurs. En contrebas, le chef de la mission, Christian Jost, chercheur à l'université de Nouvelle-Calédonie, multiplie les mesures au sol. Pas loin de là, le "second" (le "commandant en second" dans le jargon de la Marine) tente de baliser la zone de débarquement pour aider le zodiac dans sa délicate manœuvre.
Un talkie-walkie dans une main et dans l'autre un manche à balai sur lequel a été noué un chèche (la longue écharpe qui peut servir de coiffure aux hommes du désert). On fait avec les moyens du bord ! " Malgré mon balisage et mes conseils à la radio, les marins du zodiac ne parviennent pas bien à déterminer la zone de débarquement. C'est trop dangereux ! "
L'opération est abandonnée. L'important ressac et la violence des vagues ont eu raison des marins. De l'autre côté de l'île, au camp Bougainville, la mission continue (… )

Extrait d'un article publié dans COLS BLEUS, le "magazine de la Marine et de la mer" - avril 2001 )

Sur l 'île aux marins
EPISODE 1 : De là-haut
À chaque passage d'un bâtiment de la Marine à proximité de l'atoll de Clipperton, les marins ne manquent jamais l'occasion d'aller rendre visite et de hisser haut les couleurs de la France sur ce caillou de la République. La frégate Prairial y a fait escale en mai 2003.

Jour J - 11h00 (heure locale)
La frégate n'est plus qu'un point gris croisant à proximité d'un atoll perdu dans l'immensité du Pacifique. Même si le plafond nuageux est bas, le spectacle est grandiose. Une étroite bande de terre toute jaune. Plantés çà et là des cocotiers. Une masse rocheuse noire maculée de guano comme sortie de nulle part. Des eaux couleur émeraude et azur. De là-haut, on distingue la géographie sous-marine du lagon. Et ces fameux trous sans fond. D'après la légende, le diable s'y cacherait. Bigre !

À bord du Panther, Jean-Louis Étienne et le bosco, le Premier-Maître Paul Quinsac, ont des yeux ronds comme des billes. Clipperton dévoile sa magie. Tandis que le pilote, le lieutenant de vaisseau Ludovic Messelier, multiplie les passages au-dessus de l'atoll, deux humains émergent de la cocoteraie en agitant frénétiquement les mains à chacun de nos passages. Clipperton n'est pas désert ! Comme pour saluer cet événement inattendu, le soleil perce désormais l'épaisse masse nuageuse. L'atoll se pare alors de ses plus beaux atours. Un dernier passage pour repérer une éventuelle passe. À des centaines de pied du sol, Clipperton apparaît vraiment comme une forteresse inabordable depuis la mer tellement la barrière de brisants qui la ceinture paraît menaçante. L'atoll disparaît dans les nuages. Retour à bord du Prairial. Si tout va bien, les premières rotations pour l'atoll débuteront en début d'après-midi.

EPISODE 2 : L'équipée sauvage
Jour J - 13h30 (heure locale)
Si, vue du ciel, Clipperton est féerique, au ras des pâquerettes, l'atoll dévoile sa rudesse. Le climat est chaud et humide. Au sol, des milliers d'oiseaux marins et de crabes. Ces habitants de l'atoll ne semblent pas priser l'intrusion humaine. Les plages de l'île sont jonchées de détritus divers : plastique, verre et même un scooter des mers quasi intact ! Depuis la dernière rotation du Panther, chacun vaque à ses occupations. Des marins sont à pied d'œuvre pour rénover la stèle peinturlurée. Visiblement, on conteste le symbole de la propriété française de l'île. Même la plaque du Latouche-Tréville, scellée lors de son passage en 2001, a été volée ! Plus loin, vers la cocoteraie, Jean-Louis Étienne a déjà débuté son repérage. Le "bidel" (le "capitaine d'armes" dans le jargon Marine), le Maître Principal fusilier marin Xavier Vinchelin, et son complice, le Premier Maître Infirmier Denis Bonnel, ont eux démarré leur tour de l'atoll au pas de charge afin de pouvoir dresser un rapport au Haut-commissaire de Polynésie française dont dépend Clipperton.

Cet après-midi, il y a foule sur l'atoll désert. Les nouveaux habitants de l'île ne verront pas le temps passer. Le soleil rougeoie maintenant. Près de la stèle, un feu de camp scintille déjà. C'est là que dormiront ce soir une vingtaine de marins et Jean-Louis Étienne. Le "bibi" (le surnom du "bidel") raconte sa marche de 4h30. Le cagnard. Le sol corallien meuble et abrasif. Le taux d'humidité proche des 95%. La station météo dévastée. Tout y passe. Pour la vingtaine de "campeurs", la nuit sera longue et sauvage. À la belle étoile avec les sternes, les fous masqués, les crabes et les rats.

EPISODE 3 : Sauve qui peut !
Jour J+1 - 06h30 (heure locale)
Impossible de fermer l'œil dès le lever du soleil. " Les piafs font un tel raffût ! " maugrée un des marins-campeurs. Jean-Louis Étienne et son acolyte charpentier Denis Conte sont déjà à l'ouvrage sur la plage afin d'installer une sonde. La journée va tranquillement s'écouler jusqu'à ce qu'un message radio vienne tout contrarier. " Les bulletins météo reçus à bord du Prairial indiquent la formation d'un cyclone qui fonce droit sur Clipperton " prévient d'une voix grave le "bibi". Autre information de taille : lors de sa dernière rotation, un oiseau est entré en collision avec l'une des pâles de l'hélico ". Primo - Il va falloir déguerpir au plus vite. Secundo - impossible de quitter l'île par les airs. Il va falloir repartir par la mer et franchir la barrière de brisants. C'est sans affolement que les marins orchestrent le plan d'évacuation par zodiac. " Il y aura 4 rotations. On va attendre le moment propice et choisir la bonne vague " rassure le capitaine Éric François, en tenue de plongée.

EPISODE 4 : Le bulletin de la "Grenouille"
Jour J+1 - 17h30 (heure locale)
Quel meilleur professeur que le Maître Claude Pianeis dit "la Grenouille" (c'est lui le spécialiste de la météo à bord) afin d'expliquer le départ précipité de la frégate de surveillance Prairial

Pourquoi partir ?

- Claude Pianeis : " Si la frégate n'avait pas quitté l'atoll vers 15h30, nous aurions été pris dans un cyclone. On n'est pas chanceux car les cyclones sont rares en mai  "

C'était vraiment un cyclone ?
- " On parle de cyclone lorsqu'en vent moyen, la vitesse du vent est supérieure à 62-63 nœuds (soit environ 120 km/h). En quittant l'atoll et en fonçant vers le sud, nous avons touché un vent de 45 nœuds avec des rafales de vents à 50 nœuds. Dès le début de nuit, le vent était descendu à 30 nœuds. Malgré tout, nous avons eu une mer force 5 "

Mais alors sur l'atoll ?
- " Le cyclone prévu s'est transformé en tempête. Elle est passée vers 2-3 heures du matin sur Clipperton avec des pluies diluviennes et des vents en rafale. Les vagues de l'océan ont même du passer par-dessus l'atoll "

EPISODE 5: Décoiffant !
Jour J+2 - 10h30 (heure locale) - En mer (veille d'escale)
Au local K-1050. Des éclats de voix. Un bruit de tondeuse. Le salon de coiffure est ouvert cet après-midi. Le major Stéphane Le Borgne est à la manœuvre. Le matelot Gilles Monteliu est stoïque sur son siège. Debout, un ciseau à la main, plus d'un quart de siècle dans la Marine. Assis, une paire de semaines. Mais une escale en commun.

- Le major : " Alors une coupe à la Barthez ?
- Le matelot : Pas si court !
- Et Clipperton, c'était comment ?
- Pas mal même si je pensais que c'était plus petit
- Plus petit ?
- Oui (timide)
- Tu as fait le tour ou pas ?
- Oui jusqu'au rocher. Le nombre d'oiseaux m'a aussi impressionné.
- Notre escale a eu un parfum de Robinson, non ?
- Surtout lors de l'embarquement en zodiac. J'ai même vu des dauphins.
- T'as pas eu peur ?
- Non !
- T'es un soldat alors !
- En 2 mois de marine, j'ai été gâté : l'hélico, le zodiac, Clipperton… Au fait, depuis combien de temps êtes-vous dans la Marine ?
- Je suis rentré hier ! En 1977, ça fait déjà 26 ans...
- Quand même !
- (rires) Je suis venu en séjour en Polynésie en 1980 et j'ai eu la chance de passer à Clipperton en 1981. Cette fois j'y ai posé les pieds…
- Alors cette escale ?
- J'aime les situations improvisées comme le franchissement de la barrière de brisant avec le zodiac.
- Vous êtes prêts à rester sur l'île avec Monsieur Étienne ?
- Et comment !
- Ca y est, j'ai fait de toi un soldat. Tu vas plaire aux Mexicaines… Salut soldat. Au suivant ! "

EPISODE 6 : Le casse-tête mex
Jour J+3 - 8h30 (heure locale) - En mer
La mer moutonne ce matin. Le vent de face fait tanguer légèrement la frégate de surveillance. Droit devant, les paysages du port mexicain de Salina Cruz se dessinent peu à peu. À bord, c'est l'effervescence des jours de manœuvre. Avec plus de 30 nœuds de vent dans le pif et un chenal étroit pour rentrer dans le port, en passerelle, l'atmosphère ets électrique. L'arrivée dans ce port est un vrai casse-tête ! " marmonne un marin sur les extérieurs. Le pacha, le capitaine de frégate Xavier Baudouard, est tendu. Plus la frégate de la Marine s'approche du port mexicain, plus l'entrée du chenal semble étroite. Le long de l'étrave, la garde d'honneur est déjà là quand arrive le bateau-pilote mexicain sur bâbord. Aux jumelles, on distingue désormais l'imposante armada de bateaux de pêches tout rouillés au mouillage dans le port. Sur bâbord, des citernes blanches accrochés sur les collines jaunies par le soleil défilent. Sur la plate-forme hélicoptère du Prairial, la vue est imprenable. Et surtout, à l'abri de ce fichu vent !

EPISODE 7 : Une école-ambassade
À l'abri d'Eole et de ses caprices, casquette vissée sur le crâne, Jean-Louis Étienne profite de ses derniers instants sur la plate-forme arrière du Prairial.

LE BILAN
- Jean-Louis Etienne : " Très positif ! Ce repérage est indispensable pour s'imprégner de l'île et mieux connaître les réalités du terrain. J'ai pu ainsi valider ou infirmer des hypothèses de travail. Je vais donc vivre pleinement la préparation logistique de ma prochaine expédition"

LA PREPARATION
- " Je vais étudier plus dans le détail la logistique de débarquement, l'emplacement du camp et le choix des matériaux. Je vais également me pencher sur les solutions énergétiques. Comme Clipperton est en plein milieu du vent et qu'il y a du soleil, je vais sûrement opter pour le solaire et l'éolien. Je vais faire en sorte que Clipperton soit une école-ambassade de l'utilisation des énergies renouvelables et d'une exploitation propre du terrain "

EPISODE 8: C'est la Revolución !
Jour J+3 - 8h50 (heure locale)
Apparemment le pacha et son équipage ont impeccablement négocié leur embouquement. L'étrave de la frégate file maintenant gentiment dans le port de Salina Cruz. Sur bâbord, un imposant cargo noir tout droit sorti d'un album de Tintin. Surtout lorsque l'on lit son nom qui s'étale en grandes lettres blanches sur sa coque noire : " Revolución ". Sûrement la propriété du général Tapioca ou du général Alcazar qui seraient échappés des bulles d'une bande-dessinée de Tintin ? Les quais sont presque désert mais pourtant s'en échappent des notes de musique de plus en plus distinctes au fur et à mesure que la frégate s'approche du quai. Grosse caisse, cymbales, cuivres et trompettes. Le Prairial fait une arrivée à Salina Cruz en fanfare. Les 9 musiciens mexicains alignés sur le quai sont infatigables. Les lamaneurs imperturbables…

EPISODE 9 : Un joyau de la République
Jean-Louis Étienne reviendra bientôt sur l'atoll. L'explorateur est impatient...

- " Ce voyage sur le Prairial a été pour moi un voyage en première classe ! J'ai découvert un bateau très opérationnel avec un équipage très étoffé. D'un point de vue restauration, je n'avais jamais mangé aussi bien sur un bateau "

Visionnaire
- " Sur Clipperton, le potentiel de recherche est incroyable. Avec les îles Amsterdam, Crozet, Kerguelen dasn les Terres Australes et Antarctiques Françaises (Taaf), les îles du canal de Mozambique, la France possède des joyaux de la nature qu'il faut protéger "

Pédagogue
- " Mon objectif lors de ma prochaine expédition sur l'atoll de Clipperton ? Contribuer à une meilleure connaissance de cet atoll, des océans et des sciences de la terre et de la vie "

(Extraits d'un article publié dans COLS BLEUS, le " magazine de la Marine et de la mer " - mai 2003)

 

 


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